Témoignage de Djibril du Cameroun

Je m’appelle Anne Marie, mes amies m’appellent Djibril, certaines m’appellent Maître Gims.

Merci déjà pour l’occasion qui m’est permise de pouvoir parler de ma violence. Bien que je ne sais pas si ça sera facile de le faire, mais si j’ai accepté c’est que je…je vais faire quelque chose quand même.

Euh, commençant par la définition, j’entends par violence basée sur le genre. Je dirai d’abord genre, je pense genre, je dirai juste que c’est la représentation que chacun se fait de soi-même hein! Parce que tu peux être femme et que tu te sentes comme un homme. Là c’est déjà le genre. Donc, moi je prends ça comme ça.

Et en parlant maintenant de la violence basée sur le genre, c’est l’ensemble des sévices, et mauvais traitements, je pense. Et mauvais traitements que pourrait subir, un individu par rapport à la représentation qu’il se fait de lui-même. C’est comme ça que je prends ça.

“Tu es lesbienne, tu baises d’habitude avec les femmes, comment tu peux être la honte de la famille?”

Et pour, euh, la première expérience de ce type de violence. C’est où c’était vraiment dur pour moi. Parce que ma première (sanglots) pardon, ma première expérience, était en famille. Donc euh, c’était, c’est ce que je ne supporte généralement pas. Et je déteste parler de ça (sanglots).

Disons un matin comme ça, je me suis levée je suis allée en cours. Et j’avais cours ce jour de, je crois, de 8h à 18h. Quand j’étais en cours, à partir de 16h30 mon téléphone commence à sonner. C’est d’abord papa qui m’appelle, après c’est mon grand frère qui m’appelle, toutes les tantes qui m’appellent et tout ça. Et je ne répondais toujours pas (pleurs) bon comme je disais. Tout le monde m’appelle à la fois, et puis c’est à 19h que j’arrive à la maison. Je trouve tout le monde, toute la famille qui était là. Mon père, mes frères et tout ça. Mon grand frère commence à me violenter, commence à me battre. « Tu es lesbienne, tu baises d’habitude avec les femmes, comment tu peux être la honte de la famille ?» comment tu peux faire ceci, comment tu peux faire cela. Tout ce que j’avais à… j’étais sans défense. Tout ce que j’avais à faire c’est, commencer à nier. Je ne sais rien de tout ce que vous racontez, qu’est ce qui se passe? Et tout ça, qu’est ce qui se passe? Ils m’ont bien frappés. A un moment donné, mon père a dit, mais tiens, il faut quand même lui dire quelque chose par rapport à ce qu’on lui reproche! (sanglot) et c’est comme ça, mon père commence à me dire qu’on lui a dit que j’étais lesbienne, que je sortais avec les femmes depuis longtemps. Et il n’était jamais au courant, et il n’a jamais… il n’a jamais, il ne m’a jamais vu avec un homme, c’est pourquoi il est là, et il veut savoir pourquoi, j’ai décidé de faire un mauvais choix de vie. Tout ce que je pouvais dire (pleurs) c’était que (pleurs) c’était que je ne suis pas (sanglots), je ne le suis pas donc euh, qu’il n’aille pas chercher ce qu’il n’y a pas. Parce que je ne le suis pas. Donc, et après ça, mon grand frère encore a continué à me battre, j’ai donc pris la fuite.

(Pleurs) je suis partie, et lorsque je suis partie, je suis arrivée chez une amie. Elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas me garder chez elle. Mais il fallait que je dorme quelque part. Ce jour-là même était très mauvaise journée, c’est-à-dire que j’étais en train de saigner[1].  J’ai passé toute la journée sans prendre un bain. Non seulement j’étais sale, j’étais bourrée de poussière, parce qu’on me traînait un peu partout ; ma propre famille en plus, me trainait un peu partout et tout le quartier était là. Tout le monde était là. Et n’importe qui criait lesbienne et tout ça, machin et tout. Mon amie a dit qu’elle ne pouvait pas m’héberger. Je n’avais qu’un ami d’enfance, qui me faisait la cour. Alors comme il avait quitté le quartier, j’ai supposé qu’il n’était pas au courant de cette histoire. Donc, c’est chez lui que je pouvais, je pouvais me refugier. Je suis allée chez lui. J’ai d’abord… J’ai passé à peu près 2 semaines chez lui. Après 2 semaines il a commencé à me harceler, il voulait des rapports sexuels avec moi. Il me harcelait, il me harcelait. (sanglots) Une nuit, lui aussi, il a essayé de me violer (pleurs) il a essayé de me violer. J’ai vraiment, je me suis vraiment battue, j’ai dû quitter sa maison à 2 heures du matin. Un quartier où je ne connaissais pratiquement personne (pleurs) je ne connaissais personne, je suis allée… (pleurs) j’ai passé la nuit dans la rue (pleurs), j’ai passé la nuit dans la rue.

Le matin, j’ai essayé d’appeler un ami qui habitait de l’autre côté, il m’a dit qu’il pouvait m’héberger chez eux. Et quand je suis arrivée chez eux, j’ai fait un mois, puis j’ai fait deux. Et c’est quand le deuxième mois commençait à s’achever que ma famille, commençait à me chercher. J’apprenais seulement les nouvelles de mes amiEs qui m’appelaient pour me dire que « que tes grands frères, avec les anti-gangs sont en train de te chercher, et toutes les lesbiennes qu’ils arrêtent, ils essayent de les menacer, il y a déjà quatre personnes qui sont déjà en cellules, parce qu’ils marchaient avec toi, parce qu’elles marchaient avec toi, il faut que tu rentres ».

[1] Les menstrues

Moi je leur ai dit que je ne pouvais pas rentrer. Défendez-vous comme vous pouvez, moi je me sens à l’aise ici. Et ici, moi je n’ai pas de problèmes, je n’ai pas de pressions. Donc je suis restée, après ; un jour mon père m’appelle tout en larmes, il pleure, il pleure, il pleure. Qu’est-ce qu’il fallait que je fasse?

Comme c’est… en fait mon père c’est l’être le plus cher de ma vie, je l’aime tellement, je n’ai pas voulu le blesser. Parce que ce jour, beaucoup de gens m’ont battu. Mais lui il n’a pas levé le petit doigt.  C’est comme si dans son coin, il voulait faire quelque chose, mais il ne pouvait pas parce qu’il y avait tout ce monde-là, je ne sais pas (sanglot) il m’a appelé au téléphone, il pleurait, j’ai bien voulu rentrer à la maison. C’est comme ça que cette année-là même j’ai laissé l’école. J’ai laissé l’école, donc euh. Donc quand je suis revenue à la maison, euh on m’a posé des questions par rapport à ça. Je suis restée, j’étais obligée de laisser les cours. Parce que j’avais…j’avais énormément raté. Et c’est comme ça aussi que mon père s’est découragé pour ma scolarité, mes frères aussi. Donc je me sentais seule. Je me sentais, j’étais un peu comme si j’étais abandonnée. Mais mon père quand même me soutenait, avec un peu d’argent de poche.

Et euh!!! bon, je dirais que c’était ma première expérience, c’est ça hein!! En famille. J’étais en famille, la personne était très proche, oui, la personne était très proche. Parce que c’était ma tante qui avait organisé tout ça, qui avait monté le coup. C’est vrai que, c’était aussi une négligence de notre part.  Parce que j’étais en boîte la veille, avec des amiEs. Nous sommes rentréEs ensemble tous chez nous. Et le matin je les ai laissés pour aller à l’école. Derrière, je ne savais pas ce qu’elles faisaient mais elles avaient oublié de bien fermer la porte. Et ma tante a dû voir. Elle ne savait pas comment ça se faisait, donc elle a dû faire appel à la famille, en leur disant que je suis lesbienne. Et c’est comme ça que j’ai reçu tout ce que je viens de vous dire plus haut.

Même un bandit ici, on ne le brûle pas comme ça!

C’est vrai que, ce n’est pas seulement ça. J’en ai reçu, des violences, une fois dans ma famille, une fois avec ma partenaire et une fois avec la population. Donc je dirai que j’ai, j’ai vraiment eu ma dose en fait (rire) j’ai vraiment eu ma dose. Ma première fois en famille j’ai déjà dit ça plus haut. Avec ma partenaire déjà, en fait c’était une femme mariée, qui se faisait passer pour une femme non mariée, en fait. Donc euh, on est sorties ensemble. A un moment donné, elle m’a dit que, elle ne voulait plus de la relation. Moi j’ai dit que ok, il n’y a pas de soucis. Donc on s’est séparées, chacune était de son côté. Parce qu’elle l’avait dit, chacune était libre de refaire sa vie comme bon lui semblait. J’avais refait la mienne, elle avait refait la sienne. Donc il y avait rien à cirer dans la vie de l’autre. Elle atterrit chez moi, un de ces matins à 2h du matin. Parce qu’avec ce que j’avais eu en famille, j’ai décidé de m’éclipser, aller me trouver, une petite chambre que je pouvais louer, et être plus tranquille. Donc, c’est comme ça qu’elle arrive chez moi à 2h. Je suis avec ma petite amie, en train de dormir, elle frappe à ma porte. Et quand j’ouvre, elle commence avec juste des menaces, elle commence à me casser tout à la maison. Pourquoi est-ce que je l’ai remplacé aussi tôt et tout et tout. Comme ça la population. La population alors commence à courir pour voir ce qui se passe, curiosité. Qu’est ce qui se passe là-bas? Qu’est ce qui se passe. J’ai essayé de la calmer, on a discuté de 2h du matin à 6h30. Et là c’était la totale. Parce que tout le monde était là et tout le monde qui allait au travail très tôt, ceux qui allaient au marché, ceux qui euh, bref tout le monde qui vaquait à leurs occupations quoi! Donc tout le monde était là et vivait la scène comme si c’était un film télé. Ils regardaient…d’autres se moquaient. D’autres essayaient de calmer la situation, d’autres me menaçaient et tout ça. Et par la suite, j’ai appelé un ami qui est…qui a essayé de calmer la situation. Mais plus tard, quand je suis rentrée au quartier, les gars (rire), tout le quartier m’avait apprêté des roues pour me… ils disaient, si je descends dans ce quartier, on met les roues et on me brûle. Donc j’ai dû quitter de chez moi, tout ce que j’ai pu faire, c’est appeler ma petite amie, qui était restée dans la chambre. Je lui ai demandé d’essayer de plier ses vêtements à elle et sortir, comme on l’a connaît pas. De sortir avec les clés, qu’elle aille chez elle. Et quand ça sera un peu plus calme, j’allais l’appeler. Donc c’est comme ça que je suis partie, je dormais chez les amiEs, aujourd’hui chez celui-ci, demain chez celui-là. J’ai dû faire ça pendant je crois peut-être 3 à 4mois. Pour pouvoir me retrouver une autre chambre et recommencer une nouvelle vie. Disons que là c’était celle de ma petite amie. Donc euh j’ai (rire) échappé belle en fait. Les roues que j’avais vu qui étaient prévues pour moi, (rire) même un bandit ici, on ne le brûle pas comme ça! Donc c’était un peu ça.

Xonanji

Xonanji

“Il n’était jamais au courant, et il n’a jamais… il n’a jamais, il ne m’a jamais vu avec un homme, c’est pourquoi il est là, et il veut savoir pourquoi, j’ai décidé de faire un mauvais choix de vie”

Pour le premier cas, j’ai rien fait, aucune action. Je n’ai fait recours à aucune justice hein! Personne. C’était ma famille, je ne pouvais pas quand même porter plainte à ma famille. Ce qu’on allait me dire c’était d’aller résoudre ce problème en famille. Les problèmes de familles se résolvent en famille, donc euh… Ce que j’ai fait, c’était juste me casser. Et comme je ne connaissais pas trop. Je ne connaissais pas encore trop mes droits, en tant que LGBT. En tant que lesbienne, je ne connaissais pas encore mes droits. Et pour la seconde fois, je me suis approchée vers une OBC[1], on a essayé de gérer ça dans le communautaire. C’est un peu ça.

Pour mon implication dans la défense des droits, dans la défense contre des violences basées sur le genre, en fait, pour moi c’est d’abord m’impliquer dans la défense des droits, des LGBT. Ça c’est sûr. M’impliquer déjà, parce que ce que j’ai vécu. Je n’aimerais pas que demain, que quelqu’un d’autre revive ça. Parce que ce que j’ai vécu, jusqu’aujourd’hui quand j’essaie d’en parler. Je ne peux pas tenir la conversation sans verser une larme. Parce que ce jour, j’ai été tellement choquée. Et ma famille aussi. Je sais que ça a été une déception pour elle. Parce que déjà je suis, l’unique fille, d’une famille de sept enfants. Je suis l’unique fille, ils se disaient que comme chez nous en Afrique, ils ont beaucoup misé sur moi : « Notre sœur va se marier, elle va avoir des enfants, elle va fonder une famille et tout ça bon  »! Et comme c’était une déception, c’était normal, qu’ils fassent ça.

Donc pour que ceux qui viennent ou ceux qui sont là subissent pas la même chose, j’aimerais tellement m’impliquer pour la défense des droits des LGBT et essayer de contribuer à la réduction de ces violences de ce genre. Parce que être violentéE par sa famille ; c’est la chose la plus mauvaise qu’il soit. Parce que ce que j’avais ressenti le premier jour avec ma famille. La deuxième fois que les gens me disaient qu’on va te brûler, ça n’avait pas d’effet sur moi. Le premier  jour, j’ai tenté de me suicider, pas une fois, pas deux fois. Après je me suis dit pourquoi me suicider. Après comme tout le monde me dit, il faut sortir dans ça. J’ai dit c’est un truc où on ne peut sortir, je ne savais même pas que l’orientation sexuelle était innée hein ! Je ne savais pas ! J’ai même essayer de laisser tomber pour refaire une vie euh pour plaire à la société et tout, mais c’est pas sortie. Donc là maintenant, je n’aimerais pas que quelqu’un d’autre tombe dans ce pétrin. Que quelqu’un d’autre vive ça. Donc je veux juste dire, m’impliquer fortement dans la défense des droits des LGBT, et enfin de contribuer à la réduction des violences de ce genre-là. C’est ce que je tiens à dire. Je suis vraiment optimiste, là-dessus. Très optimiste, j’irai jusqu’au bout. Et devenir comme les autres s’il le faut. S’il faut faire en sorte que ce comportement animal là changent dans les mœurs des africains, je le ferai.

[1] Organisation à base communautaire (Généralement ceux sont des associations de lutte contre le VIH ou de prise en charge des personnes vivant avec la maladie)